18/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Sur les traces des pionniers hakka

01/08/2010
Le festival de Neimen est l’occasion de démonstrations parfois très acrobatiques.(PHOTOS DE L’AUTEUR)
L’identité hakka, longtemps mise sous le boisseau à Taiwan, a connu un renouveau certain au cours des 20 dernières années. D’abord culinaire, celui-ci a également abouti à la mise en valeur du patrimoine architectural, vestimentaire ou encore musical hakka. Et l’on est davantage enclin aujourd’hui qu’hier à se déclarer Hakka. Selon une étude commandée en 2008 par le gouvernement, le quart de la population, soit 5,79 millions de personnes, se considère comme tel. En janvier de cette année, les députés ont d’ailleurs adopté une loi qui oblige le gouvernement à fixer un jour national de la culture hakka et à promouvoir l’usage de la langue hakka au sein des administrations des collectivités locales dont la population est au moins au tiers composée de membres de cette communauté linguistique.

Dans le district de Kaohsiung, où plusieurs villages sont majoritairement peuplés de Hakka, on compte bien s’appuyer sur ce patrimoine culturel pour attirer les visiteurs. Un parcours touristique, sur le thème de la découverte de la culture, a été créé. Il inclut bien sûr Meinong, village réputé pour ses fabricants d’ombrelles et de tuniques indigo traditionnelles et où peuvent être admirés des vestiges datant des premiers colons, tels la vieille rue Yong-an et la maison de la famille Song. L’itinéraire suggéré par les responsables du tourisme du district passe également par Qishan, dont l’ancienne gare a été restaurée. Si beaucoup reste à accomplir pour faire ressortir le charme de ces différentes localités, le succès d’un festival organisé chaque année à Neimen, un autre bourg hakka du district, est prometteur.

Festival

Récemment encore, c’est dans la cour du vieux temple Zizhu, au centre de Neimen, que les formations Song Jiang de toute la région venaient se produire chaque année à l’occasion de l’anniversaire de la bodhisattva Guanyin. A Neimen seulement, on en compte une quinzaine, ce qui fait de la bourgade le centre incontesté de cette discipline à Taiwan. Chaque année, après le Nouvel An lunaire, leurs membres répètent pendant deux mois le moindre mouvement, avant de reproduire, en hommage aux dieux, des gestes issus d’une tradition plus que centenaire.

Depuis deux ans, le Festival des formations Song Jiang a quitté le cœur historique de Neimen pour être organisé devant le temple Shunxian, un édifice flambant neuf inauguré en octobre 2008 à l’extérieur du bourg. Il s’agit d’un complexe religieux d’envergure, dont la construction à flanc de colline s’est étalée sur plus de 10 années. En lui-même imposant – haut de deux étages, il est doté de statues à la dorure étincelante et les plafonds de ses nombreuses salles sont tous ornés de motifs sacrés peints par un artiste local –, le temple est jouxté par un hôtel où les fidèles peuvent passer la nuit ou se restaurer. En contrebas, un plan d’eau artificiel ajoute à l’aspect paisible de l’ensemble.

C’est d’ailleurs ici qu’ont trouvé refuge, il y a un an, des habitants des villages environnants, rescapés du typhon Morakot. Les bénévoles de la Fondation bouddhique Tzu Chi y avaient dressé un centre médical d’urgence, explique Anthony Ho [何敏滄], qui conseille les pouvoirs publics pour la reconstruction après Morakot. « Lors de cette catastrophe, le temple Shunxian a joué un important rôle social et le nombre de fidèles qui viennent s’y recueillir n’a fait que croître depuis. »

Ce week-end d’avril, toutefois, l’affluence n’est pas due à la ferveur religieuse : 200 000 personnes sont attendues pour assister au festival annuel de formations Song Jiang. Sur une scène installée au-dessus du plan d’eau, des étudiants « s’affrontent », maniant étendards, épées, lances et fourches. Ils viennent de toute l’île, en particulier de régions à fort peuplement hakka : de l’Université Shih Chien, toute proche, mais aussi d’établissements supérieurs situés dans les districts de Pingtung et de Kaohsiung, dans le sud, et de ceux de Hsinchu, de Miaoli et de Taoyuan, dans le nord. Ce concours inter-universitaire sera d’ailleurs remporté par l’Université Longhua des sciences et technologies, située à Guishan, dans le district de Taoyuan.

« Depuis six ans, le parti pris du district de Kaohsiung, qui organise l’événement, est de laisser ces jeunes troupes s’approprier librement la tradition des formations Song Jiang », explique Weng Chia-liang [翁佳樑], le directeur du Tourisme et de la Circulation au district. Chaque équipe doit certes respecter les valeurs de base de cet art martial : autodéfense, esprit de corps, loyauté, solidarité et bravoure. Pour le reste, les étudiants évoluent sur la musique de leur choix – hip hop inclus – et peuvent choisir des accessoires parfois éloignés de la panoplie habituelle des pratiquants de Song Jiang.

Groupe en formation autour de son porteur de drapeau.(PHOTOS DE L’AUTEUR)

Histoire et légende

L’histoire des formations Song Jiang est indissociable de celle du peuplement hakka de Taiwan. Les Hakka sont des Han originaires du nord de la Chine mais dotés d’une culture et d’un dialecte spécifiques. Au fil des siècles, ils ont migré vers le sud, fuyant les famines et les guerres qui ont marqué l’histoire de la Chine. Ainsi, le nom qui les désigne en mandarin, Kejiaren, signifie « invité ». En Chine, ils se sont majoritairement fixés dans les provinces du Guangdong, du Jiangxi et du Fujian, mais beaucoup ont aussi émigré en Asie du Sud-Est.

A Taiwan, explique Chen Yun-dong [陳運棟] dans son ouvrage Hakka People in Taiwan, les premières vagues de peuplement hakka ont eu lieu pendant le premier tiers de la dynastie Qing, sous le règne des empereurs Kangxi [康熙] (1662-1722), Yongzheng [雍正] (1723-1735) et Qianlong [乾隆] (1736-1795). Les premières années suivant la prise de contrôle de l’île par la dynastie Qing, en 1683, plusieurs groupes hakka de la province chinoise du Fujian émigrent vers le sud de l’île, s’installant d’abord aux environs de Tainan sur des terres laissées vacantes par les premiers colons han, puis s’aventurent plus au sud, jusqu’aux actuels districts de Kaohsiung et de Pingtung. Après 1721, année où la milice hakka de Liudui aide à mater la rébellion de Zhu Yi-gui [朱一貴], les habitants de Chaozhou et de Huizhou, deux localités hakka de la province du Guangdong, sont à leur tour autorisés à émigrer dans l’île. D’autres suivront.

Les nouveaux venus, note Chen Yun-dong, doivent cependant composer avec les Han installés de plus longue date, et auxquels ils resteront numériquement inférieurs. Rejetés vers l’intérieur des terres, il leur faut défricher, faire face aux maladies et affronter les bandits ou encore les populations aborigènes sur le territoire desquelles ils empiètent. Paysans, ils n’hésitent pas à prendre les armes pour protéger leur famille et le clan. Les milices qui défendent les villages hakka joueront aussi un rôle ponctuel mais décisif à Taiwan, par exemple en venant au secours de la cour des Qing lors du soulèvement mené par Lin Shuang-wen [林爽文] en 1786, ou encore en soutenant la tentative d’établissement de la République de Formose, en 1895, avant que les Japonais ne prennent le contrôle de l’île.

Les formations Song Jiang s’inscrivent dans cette tradition martiale. Leur origine précise est discutée cependant. Certains y voient l’héritage direct des aventures du chef rebelle Song Jiang [宋江], telles que décrites dans le roman épique Au bord de l’eau. Une formation est en effet traditionnellement composée soit de 108 hommes – à l’image du groupe de 108 brigands constitué par Song Jiang –, soit de 36 – comme Song Jiang et les 35 principaux brigands –, soit encore de 72, le nombre de leurs lieutenants.

D’autres font remonter cette origine à la tactique du « canard mandarin » théorisée sous la dynastie Ming par le général Qi Jiguang [戚繼光] (1528-1588) dans sa lutte contre les incursions répétées de pirates et de troupes japonaises sur les côtes du Fujian. Ses escouades d’infanterie, composées chacune de 12 hommes, combinaient l’utilisation d’armes courtes et longues, offensives et défensives. Elles exigeaient une discipline sans faille et leur succès dépendait étroitement de la coopération des soldats plutôt que de l’héroïsme individuel. L’organisation de ces escouades aurait servi de prototype aux formations Song Jiang, lesquelles auraient été adoptées à Taiwan par des militaires hakka accompagnant Koxinga [鄭成功] dans sa tentative de rétablissement de la dynastie Ming, et qui se seraient ensuite installés sur place.

D’autres encore estiment que les formations Song Jiang ont été introduites par des migrants en provenance de Zhangzhou et de Quanzhou, dans la province du Fujian. Férus d’arts martiaux, ceux-ci auraient été contraints d’en dissimuler la pratique sous la forme de danses du lion, les autorités de l’époque craignant qu’ils ne mettent en danger la sécurité publique. Une sorte de capoeira à la mode hakka, en quelque sorte.

Les ombrelles font partie intégrante de la panoplie des formations Songjiang. Camouflage, envoi de signaux : leurs fonctions sont multiples.(PHOTOS DE L’AUTEUR)

En garde !

Sur la scène de Neimen, chaque formation est menée par un chef qui donne ses ordres à l’aide d’un drapeau, signalant les changements de position et les mouvements à accomplir : regroupement défensif, alignement, démonstration individuelle ou encore enchaînement de combats rapprochés. Tambours, gongs et cymbales encouragent des combattants maquillés avec soin et qui tentent d’intimider leur adversaire en poussant des cris.

Les armes traditionnelles sont pour la plupart adaptées d’outils de ferme. On trouve des boucliers en osier tressé, des couteaux, des haches, mais aussi des faux, ainsi que des bâtons surmontés ou non d’un fer ou d’une pique. Plus surprenant, des éventails, des ombrelles ou de simples paniers font aussi partie de la panoplie, symbole d’une population sur le qui-vive, prête à tout moment à se défendre.

Dans le public, les supporters donnent de la voix, avant d’aller, lors des entractes, déguster quelques friandises hakka, comme les gâteaux de riz glutineux roulées en boulette dans du sucre et des arachides en poudre, ou encore la pâte de riz mélangée avec du sucre.

Symboles de la renaissance de la culture hakka, les formations Song Jiang jouent désormais un rôle touristique avéré. Le festival de Neimen est la pierre angulaire de cette entreprise concertée de perpétuation de cette tradition. En 1991, il a été listé parmi les 12 principaux festivals traditionnels à Taiwan. Dans son nouvel écrin, près du temple Shunxian, il dispose de solides capacités d’accueil et peut rêver à une renommée dépassant les côtes de l’île. Des formations de Neimen se sont d’ailleurs produites lors de la Rose Parade, à Pasadena, en Californie, ou encore lors de festivals à Singapour ou en Corée du Sud. Un rayonnement international sur lequel le district de Kaohsiung mise pour attirer les touristes, notamment asiatiques.

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